Prisons en Turquie
Prisons en Turquie
 

Des députés turcs mettent en cause les autorités dans la tuerie de la prison d'Ankara et dénoncent la pratique de la torture dans les commissariats

 

La sous-commission par-lementaire des droits de l’homme de Turquie a rendu public le 13 mars 2000 son rapport concernant les émeutes en septembre 1999 de la prison d’Ulucanlar au cours desquelles 10 prisonniers politiques avaient perdu la vie. En raison des dissensions entre les députés, deux rapports différents ont été rédigés ; l’un par les députés de la Mère patrie (ANAP), du Fazilet (FP-islamiste) et de la Juste Voie (DYP) qui ont fortement mis en cause les autorités pénitentiaires, et l’autre par les députés gouvernementaux du parti de la Gauche démocratique (DSP) et du parti néopasiste de l’Action nationaliste (MHP) largement plus cléments sur le rôle des autorités.

Dans le premier rapport, les députés Sebgetullah Seydaoglu (ANAP), Mehmet Bekaroglu (FP), Mustafa Eren déclarent, qu’à partir de l’enquête effectuée et les témoignages recueillis, ils en viennent à la conclusion que " l’opération avait été planifiée ". Les parlementaires portent de sérieux doutes sur l’existence des armes qui auraient été découvertes (une Kalachnikov, 7 pistolets, un fusil de chasse) dans la prison. Ils déclarent à ce sujet que lors de la première perquisition, aucune arme automatique n’avait été trouvée et qu’elle a fait son apparition lorsqu’un des détenus a soutenu que " les premiers tirs venaient d’une arme automatique ". Les parlementaires continuent en s’interrogeant : " si ces armes existaient pourquoi est-ce qu’elles n’ont pas été utilisées contre les forces de l’ordre mais seulement contre les détenus ? " Par ailleurs, l’existence d’un tunnel a été également mise en doute.

Le rapport dénonce de même le fait que le procureur près de la Cour d’Ankara n’a pas daigné de répondre aux questions des députés et que les cassettes enregistrées lors de l’émeute n’ont pas été remises à la commission. Les parlementaires se demandent également pourquoi d’autres méthodes plus appropriées (bombe lacrymogène etc.) n’ont pas été utilisées. Mais le point le plus obscur reste les nombreuses traces de tortures mais aussi de brûlure à l’acide trouvées sur les corps des victimes. Le rapport souligne également le retard des interventions médicales qui ont eu lieu une à trois heures après les décès, hormis pour deux cas.

Le comité de contrôle de tortures de l’association turque des droits de l’homme à Istanbul (IHD) a publié le 2 mars son rapport pour 1999. Selon l’IHD, 334 personnes ont fait appel à la section d’Istanbul pour dénoncer la torture subie en détention. La plupart se plaigne de " pendaison, bastonnade, chocs électriques, sévices sexuels et viol ". Le comité a indiqué que parmi les 334 victimes, on pouvait compter 27 enfants et 72 femmes et a souligné que 63 personnes avaient un rapport médical attestant les violences éprouvées. Le rapport met l’accent sur le fait que 146 personnes souffrent de préjudices physiques et 104 autres de préjudices moraux du fait des sévices subis.

Les organisations de défense des droits de l’homme en Turquie et à l’étranger ont régulièrement dénoncé la pratique systématique de la torture dans les commissariats turcs. D’ailleurs, ces derniers temps, les responsables politiques n’osaient même plus nier les faits, mais refusaient obstinément d’admettre que les violences étaient systématiques. La commission parlementaire des droits de l’homme, présidée par Mme Sema Piskinsüt, du parti social démocrate (DSP) du Premier ministre B. Ecevit, a ainsi pu saisir au cours d’une de ses inspections dans le petit commissariat de Küçükköy (Istanbul), l’instrument servant pour la " pendaison palestinienne " très affectionnée par les officiers de police turcs lors des interrogatoires. Mme Piskinsüt a déclaré : " nous n’avons pas rencontré d’opposition, mais la clé de la salle d’interrogatoire ne pouvait pas être trouvée ".

Mme Piskinsüt a vivement réagi aux déclarations d’Erol Çakir, gouverneur d’Istanbul, qui a tout bonnement nié les faits en disant " certaines personnes ont trouvé un vieux bâton " et a accusé la commission d’être sous influence étrangère. Quant au ministre de l’Intérieur, Saadettin Tantan, il a indiqué : " je suis totalement contre la torture, mais je dois travailler avec le matériel humain mis à ma disposition ". Seref Turgut de l’IHD a affirmé que " si des perquisitions similaires étaient conduites, des instruments de torture seraient trouvés dans tous les commissariats ".

En 1998, la même commission avait pu mettre la main sur plusieurs instruments de torture, comme des bâtons utilisés pour le falaka et un appareil servant à envoyer des chocs électriques au commissariat de Mugla. Mais le temps qu’une instruction puisse démarrer toutes les preuves avaient étrangement disparu. Cette fois-ci, la commission parlementaire a décidé immédiatement de confisquer l’instrument. Bien que la torture soit légalement interdite en Turquie, les condamnations de policiers tortionnaires restent extrêmement rares. Selon le récent rapport du Département d’Etat américain, sur 245 affaires déférées au parquet d’Istanbul entre 1996 et 1998, il n’y a eu que 15 condamnations, la plus longue peine étant trois ans de prison.

Enfin, l’association islamiste des droits de l’homme, Mazlum-Der, a dénoncé, le 3 mars, l’arrestation de 68 enfants âgés de 6 à 14 ans dans une mosquée à Urfa par la section anti-terreur de la Direction générale de la sécurité. Les autorités soutenaient que les cours étaient dispensés illégalement par le Hizbullah. Les enfants, tous âgés de moins de 15 ans, ont dû être libérés par la suite.

 

Issu du site de l'Institut Kurde de Paris (http://www.fikp.org/)