Au 15 septembre, en lutte et solidaires !
Par Joelle Aubron et Nathalie Menigon, prisonnieres d'Action Directe

Depuis octobre 2001, les prisonniers politiques en Turquie sont en lutte contre le regime des prisons de type F. Par groupes de 100 ou 200, ils se sont engages dans des jeûnes jusqu'a la mort. Plus de 10000 militantes et militants sont incarceres par cet Etat qui negocie son entree dans l'Union Europeenne. Au mois de juillet 2001, 60 camarades sont deja morts dont 32 assassines lors de l'assaut du 19 decembre 2000 (1). L'inflexibilite d'un gouvernement de coalition, alliant centre-gauche et extrême-droite en a tue 30 autres. Une autre soixantaine est handicapee a vie du fait de cet affrontement entre d'un côte des prisonniers qui luttent pour des revendications democratiques (2) et d'un autre un Etat sous la coupe de ses militaires. Les colorations fascistes de ce regime ne sont-elles pas suffisamment evidentes? Est-ce que l'etat d'exception permanent sous lequel vit la societe en Turquie a encore besoin d'être rappele?

Propos interdits y valent de tomber sous le couperet d'une loi "anti-terroriste", mises a l'index de tous les partis politiques et associations qui luttent pour ouvrir l'espace politique public - quand leurs sieges ne sont pas investis par les fascistes ou les forces de l'ordre - rigoureuse limitation des droits syndicaux, de manifestation et d'association, tortures pratiquees quotidiennement dans les commissariats et les prisons... Bref, les chantres des normes "democratiques" etats-uniennes et europeennes devraient y trouver matiere a stigmatiser.

Pour autant, apres avoir recommande quelques ravaudages de façade, les grands "democrates" de l'Union Europeenne se gardent bien de denoncer cette situation. Ils ne sauraient critiquer la modernisation du regime carceral turc dans lequel s'inscrivent les prisons de type F. C'est vrai quoi, c'est tellement plus propre lorsque les opposants
et ies revolutionnaires sont "reduits a un etat de soumission essentiel a leur conversion ideologique (...), reduits a un etat d'incapacite psychologique tel qu'ils seront neutralises en tant qu'adversaires efficaces et autonomes. En cas d'echec, la seule solution est leur destruction, de preference grace a un desespoir tel qu'ils se detruiront eux-mêmes (...)" (3) par la bien nommee torture blanche de l'isolement.

Porte-parole d'une delegation du Parlement europeen, un Cohn-Bendit n'eut rien de plus presse au mois de juin que de denoncer l'intransigeance des prisonniers. Sous pretexte de ne pas vouloir discuter de concepts de "I'age de pierre", il refusa d'aborder avec l'un des prisonniers le rôle de l'imperialisme dans la mise en ¦uvre des prisons de type F. Son attitude n'a rien de personnel, il preside la commission parlementaire turco-europeenne.

Les conditions de detention dans ces nouvelles prisons sont celles normalisees, aux USA et dans nombre des Etats europeens depuis des decennies, contre les prisonniers revolutionnaires et rebelles (4). Pour memoire, en 1998, un rapport du departement d'Etat US definissait les prisons en Turquie comme "le centre du terrorisme" tandis que la demande d'entree dans l'U.E de la Turquie proposait, en premier lieu, "la fin des cellules collectives" et introduisait les prisons de type F comme la "transition vers des conditions de detention modernes". Cette intention a-t-elle suffi? Les champions des interventions "humanitaires" se taisent depuis des mois. Ou leurs indignations sont-elles selectives?

Cette fois, la posture morale n'apporterait nul benefice aux interêts strategiques qu'elle masque habituellement. L'aprete de cet affrontement entre les prisonniers politiques et le gouvernement en Turquie est un effet d'enjeux economiques (5) et militaires. Les USA et l'U.E laissent des marges de man¦uvres avec leurs propres criteres de la "democratie" a cette puissance regionale, a la hauteur de leurs interêts a ce qu'elle soit forte. L'Etat turc vaut comme facteur de stabilisation et base essentielle a leurs deploiements militaires dans la zone mediterraneenne et moyen-orientale. Membre de l'OTAN, la Turquie dispose de bases qui ont permis les bombardement de la Serbie en 99 et de l'Irak regulierement encore. Cette realite devrait pouvoir être une raison supplementaire pour que se mobilisent ceux qui savent reconnaitre les conditions reelles derriere les mensonges de la propaganda. Si nous parlons d'en finir avec l'extension de la misere, si nous denonçons les politiques visant a encore enrichir les riches, si nous nous insurgeons contre les inegalites croissantes, nous devons savoir que ces horreurs ne peuvent pas se faire sans une combinaison de puissances militaire et economique. Malheureusement, force est de constater, cette mobilisation est dramatiquement absente.

Certes, des initiatives solidaires se deroulent ici et la. Depuis decembre, il y eut des manifestations, des caravanes a travers l'Europe, des meetings, ... Il y eut encore des initiatives venues de l'interieur des prisons. D'avril a juillet encore, des prisonniers communistes, anti-imperialistes, anarchistes, antifascistes, ... se sont relayes a travers des jeunes (6). Signataires ou non de la plate-forme du 19 juin 99 rassemblant des hommes et des femmes pour lesquels "Pas de justice, pas de paix!" a un sens pratique, ils ont redit a quel point cette lutte est la leur, la nôtre. Pour autant, le peu d'echos de cette lutte des prisonniers turcs et kurdes reste une cruelle evidence. Contre la paix des cimetieres et du fond de nos cellules, nous essayons une fois encore de faire une arme de notre solidarite.

Du 15 au 22 septembre, nous serons en greve de la faim pour I'une, en refus des plateaux pour l'autre.

Nous esperons être rejointes par de nombreuses, tres nombreuses, initiatives.

Fin août 2001

 

(1) 10 autres sont depuis portes disparus -
(2) Revendications formulees le 14 juin 2001:
1- Modifications dans l'architecture des prisons de type-F. Femmeture des cellules individuelles et pour 3 personnes, garantie inconditionnelle de ce que les prisonniers puissent vivre ensemble.
2- Abolition de la loi anti-terroriste &16
3- Annulation du protocole tripartite.
4- Formation d'une commission d'observation ou seraient representes les chambres d'avocats et de medecins, la chambre d'architecte, les organisations des DDH, IHD, TAYAD et TYAB et des syndicats de surveillants. 5. Assurance quant a une abolition ulterieure de la Cour de Securite de l'Etat.
6- Liberation et suspension de peine pour les prisonniers malades et amoindris.
7- Condamnation des tortionnaires et assassins avec la participation d'associations civiles et democratiques. Pour les prisonniers des organisations suivantes:: DHKP-C, TKP(ML), TKIP, TKP/ML, MLKP, TIKB, MLSPB, TDP, DY, DH, PKK/DCS
(3) Kord, criminologue et psychologue des prisons americaines, definissant les buts de l'isolement dans les annees 60
(4) Dans un communique pour se solidariser avec cette lutte, Mark Bamsley et John Bowden, prisonniers en Grande Bretagne, I'ont dit. Les FIES de l'Etat espagnol sont les CSC du Royaume-Uni. Ici ils s'appellent Q.l, ailleurs Control Unit ou Isotrackt... Ils recouvrent la même realite de destruction
(5) Juste pour illustrer: le 21 decembre, deux jours apres le debut des massacres, le FMI vdait une aide d'urgence de 10 milliards de dollars a la Turquie.
(6) Apres que le 23 avril, les prisonniers du PCE(r) et des GRAPO dans l'Etat espagnol avaient entame une greve de la faim solidaire, indefinie et rotatoire, en France, plusieurs prisonniers politiques se relayaient; nous a Bapaume, un collectif de p.p a Arles, Yves Peirat (antifasciste) a Marseille, Gael Roblin et Gerard Bemard (p.p
bretons) a La Sante et Fleury, le dernier en date, Georges Ibrahim Abdellah (FARL) a Moulin-Yzeure jeûnerent ou refuserent les plateaux de la penitentiaire. En Belgique, Pierre Carette (CCC) fut en greve du 28 mai au 3 juin, en Grece, Nikos Mazidis du 9 au 18 juin, Paolo Dorigo (BR/PCC) en Italie, prisonniers sociaux rebelles incarceres en Espagne, en Grande Bretagne ou en France, Rainer Dittrich, prisonnier communiste en RFA... Tous ont rappele le "chacun de nous est concerne".